LE STIMULANT, NAISSANCE ET RENAISSANCE D'UN APÉRITIF
À base de vin et d'écorce de quinquina, la boisson morgienne connaît un vif succès au tournant du siècle passé.
En 1860, Emmanuel Gamboni venu du val Calanca dans les Grisons italophones et Joseph Salina de Varzo, province de Novare dans le royaume de Piémont-Sardaigne, s'associent pour fonder une distillerie à Morges. Ils entreprennent de reproduire une boisson qui ressemble à un vermouth, apéritif traditionnel de leur patrie d'origine. Mais l'influence française les incite à se tourner vers la production d'un quinquina. Une fois la recette mise au point, l'apéritif morgien se vend sous le nom de Quinquina Gamboni. Amélioré, ce breuvage devient Le Stimulant au tournant du XXe siècle pour disparaître en 1979 avant de renaître le 1er janvier 2021.
Les deux créateurs du Quinquina Gamboni peuvent compter sur un marché florissant. Au XIXe siècle, à l'heure de l'apéritif, les tables sont constellées de petits verres remplis de boissons colorées. Vermouths, anisettes, fernets, bitters, portos, muscats doux et une foultitude de liqueurs en tous genres jouent des coudes avec les pichets de vin dans le brouhaha enfumé des bistrots, des tavernes, des bars et autres débits de boissons. Dans cette foison d'apéritifs, les quinquinas occupent une place importante. On leur prête de nombreuses vertus, fortifiantes, fébrifuges, digestives, antivirales et même capillaires parce qu'ils contiennent de la quinine. On peut énumérer Rinquinquin, Byrrh, Dubonnet, Saint-Raphaël, Cap Corse, Lillet... Ils naissent tous au XIXe siècle, la plupart en France, où leur popularité s'impose rapidement.
L'association entre Gamboni et Salina dure peu. Mais Henri Salina, fils de Joseph, épouse Marie Gamboni, fille d'Emmanuel. Henri Salina séjourne en France, puis en Argentine pour apprendre à distiller. À son retour en 1899, il reprend la distillerie Gamboni. C'est ainsi que ressuscite l'association des deux familles. Fort de ses expériences acquises en Argentine, Henri apporte quelques touches exotiques au Quinquina Gamboni et lui donne le nom de Stimulant. Le succès commercial est immédiat. Au plus fort de sa popularité, plus de 1000 litres de Stimulant sont consommés par jour et dans les seuls cantons de Vaud et de Genève. Le couple n'ambitionne pas d'étendre ses ventes ailleurs. Selon Xavier Salina, ancien syndic de Morges et descendant du couple, un tonneau de 600 litres de Stimulant était livré tous les lundis au seul Buffet de la gare de Cornavin. Les archives attestent de ce succès. Les recettes sont calculées pour une production de 20 000 litres à la fois. On peut constater que vingt cuvées étaient réalisées par année, soit 400 000 litres.
Sous le nom de " Fils Salina-Gamboni", Jacques, Joseph et Pierre Salina représentent la génération suivante. Sous leur impulsion, la production d'eaux de vie se développe considérablement. Puis, vers 1950, la succession s'opère à nouveau, Henri Salina, fils de Jacques, y travaille quelques années avant de devenir évêque-abbé de Saint-Maurice d'Agaune. Il aime alors à dire, le sourire en coin: "Le spiritueux peut mener au spirituel." Ses cousins Xavier et Daniel poursuivent l'épopée de la distillerie sous la raison sociale de Salina & Cie.
Dès les années 1960, les bitters et les vermouths passent de mode au profit du vin. C'est le début du déclin. En 1979, la hausse de la taxe perçue par la Confédération sur les alcools donne le coup de grâce. Le Stimulant disparaît après plus d'un siècle d'une aventure glorieuse.
Renaissance
En 2019, une bouteille de Stimulant est retrouvée au fond d'une cave à Morges. Les personnes qui y goûtent tombent sous le charme. De cette dégustation naît le projet de redonner vie à ce quinquina. Trois associés fondent la Société à responsabilité limitée Le Stimulant et négocient une licence exclusive de fabrication avec la famille Salina qui a conservé de nombreuses archives ainsi que les recettes.
Il faut dix-huit mois aux trois complices pour mettre au point le nouveau Stimulant. Celui-ci varie légèrement de la dernière recette élaborée par les Salina dans les années 1960. Les associés veulent valoriser des vins suisses qui remplacent les vins espagnols utilisés à l'époque. Il est également ajouté du vin blanc au rouge pour donner à l'élixir une couleur rubis, plus lumineuse et séduisante. Le nouveau Stimulant est présenté à la famille Salina qui reconnaît le caractère de son quinquina.
En septembre 2020, bouteilles, étiquettes, emballages sont commandés pour une première production en décembre. La mise sur le marché est prévue pour janvier 2021. Mais l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle refuse d'enregistrer la marque Le Stimulant. Car une ordonnance de 2016 interdit aux alcools et au tabacs l'usage de noms qui font allusion à la santé. Les associés décident alors de rappeler l'appellation en l'abrégeant et en la ponctuant d'une apostrophe. Ce sera le Stim'. Après 40 ans d'absence, le quinquina morgien est de retour avec l'ambition de renouer avec le succès.
LES QUINQUINAS
Les quinquinas sont des apéritifs à base de vins fortifiés titrant généralement entre 17 et 18 degrés. Leur élaboration nécessite de procéder à une infusion de racines, de fleurs, de fruits, de plantes aromatiques et de diverses épices dans de l'alcool pur. Il est également ajouté une quantité importante d'écorce de l'arbre quinquina dont est extraite la quinine qui fait leur spécificité. L'infusion est ensuite incorporée au vin. La touche finale est donnée en ajoutant du sucre, du jus de fruit. Chaque marque de quinquina tient sa recette secrète. Seul point commun, la présence de quinine qui leur donne un caractère amer et les distingue des vermouths.
L'ARBRE QUINQUINA
Le quinquina est un arbre d'une dizaine de mètres, originaire d'Amérique centrale et de la cordillère des Andes, en Amérique du Sud. Il est connu pour son écorce qui contient de nombreuses substances aux vertus médicales reconnues. Parmi ces substances, la quinine qui a sauvé des millions de personnes dans le monde, grâce à son action antivirale contre le paludisme ou la malaria. Pour cette raison, l'arbre est honoré au Pérou où il figure sur le blason national. Pour protéger la colonie anglaise établie en Inde, Schweppes incorpore de la quinine. Tout récemment, la quinine a fait à nouveau parler d'elle dans le débat sur ses supposées vertus dans le lutte contre le coronavirus.